juillet 2017
JOUER LE JEU !
En 1937, Félix ÉBOUÉ prononçait cette adresse à la jeunesse. Elle n’a pas pris une ride et nous rappelle à l’essentiel, en ces temps difficiles : "À cette jeunesse dont on veut, de part et d’autre, exploiter les inquiétudes pour l’embrigader..."
JOUER LE JEU !
Lycée Carnot, à Pointe-à-Pitre, le 1er juillet 1937.
À cette jeunesse que l’on sent inquiète, si incertaine devant les misères de ces temps qui sont les misères de tous les temps ; à cette jeunesse, devant les soucis matériels à conjuguer ; à cette jeunesse dont on veut de part et d’autre, exploiter les inquiétudes pour l’embrigader ; à cette jeunesse qui me fait penser à ce mot de GUYAU : "pour connaître et juger la vie il n’est pas besoin d’avoir beaucoup vécu, il suffit d’avoir beaucoup souffert " ; à cette jeunesse, généreuse et spontanée, n’ai-je pas le devoir, me tournant vers elle, de l’adjurer à mon tour de rester indépendante.
N’ai-je pas pour obligation de lui dire : ne te laisse pas embrigader, ne souffre pas que l’on t’enseigne comme suprême idéal le fait de marcher au pas, en colonnes parfaites, de tendre la main ou de montrer le poing. En l’acceptant, tu consacreras le triomphe de la lettre au détriment de l’esprit, parce qu’on t’aura enseigné que le rite tient lieu de culte.
Ne devons-nous pas conserver à cette jeunesse ses qualités essentielles : l’indépendance, la fierté, l’orgueil, la spontanéité, le désintéressement ? Je ne résiste pas, quant à moi, au désir de vous indiquer, mes jeunes amis, une autre formule qui permet de gagner, sinon à tous les coups, mais de gagner sûrement en définitive.
"Soyez sportifs ! Soyez chics !… " Je vous dirai : "Jouez le jeu !" Jouer le jeu, c’est être désintéressé. Jouer le jeu, c’est réaliser ce sentiment de l’indépendance dont je vous parlais il y a un instant.
Jouer le jeu, c’est piétiner les préjugés, tous les préjugés, et apprendre à baser l’échelle des valeurs uniquement sur les critères de l’esprit. Et c’est se juger, soi et les autres, d’après cette gamme de valeurs. Par ainsi, il vous sera permis d’affirmer et de faire admettre que les pauvres humains perdent leur temps à ne vouloir considérer que les nuances qui les différencient, pour ne pas réfléchir à trois choses précieuses qui les réunissent : les larmes que le proverbe africain appellent "les ruisseaux sans cailloux ni sable", le sang qui maintient la vie et, enfin, l’intelligence qui classe ces humains en hommes, en ceux qui ne le sont pas ou qui ne le sont guère ou qui ont oublié qu’ils le sont. Jouer le jeu, c’est garder farouchement cette indépendance, parure de l’existence ; ne pas se laisser séduire par l’appel des sirènes qui invitent à l’embrigadement, et répondre, en pensant aux sacrifices qu’elles exigeraient en retour : Quelle mère je quitterais ! Et pour quel père ! Jouer le jeu, c’est savoir prendre ses responsabilités et assumer les initiatives, quand les circonstances veulent que l’on soit seul à les endosser ; c’est pratiquer le jeu d’équipe avec d’autant plus de ferveur que la notion de l’indépendance vous aura appris à rester libres quand même. Jouer le jeu consiste à ne pas prendre le ciel et la terre à témoin de ses déconvenues,…
Jouer le jeu, enfin, c’est mériter votre libération et signifier la sainteté, la pureté de votre esprit.
Mais qui était Félix ÉBOUÉ ? Félix Eboué est le premier Gouverneur Général noir que l’Etat colonial français nomme pour occuper plusieurs postes hautement stratégiques dans une ère critique, notamment en Afrique et aux Antilles. Né le 26 décembre 1884 à Cayenne (Guyane française) dans une famille modeste de cinq enfants, Félix Eboué rend son dernier souffle le 17 mai 1944. Il est inhumé au Panthéon.
Pour en savoir plus cliquez sur http://www.esclavage-memoire.com/evenements/anniversaire-de-frantz-fanon-147.html
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