10 mai 2007. Discours du CRAN : Olympe et Solitude au Panthéon

Appel aux candidates et aux candidats à l’élection présidentielle : demain, Olympe et Solitude au Panthéon.

Par Louis-Georges Tin (Porte-parole du CRAN) et Claudine Tisserand (vice-présidente du CRAN).

Mesdames, Messieurs, A la veille de la Journée mondiale des femmes, nous vous sollicitons pour savoir si vous accepteriez de vous engager, en cas de victoire aux élections, à faire entrer au Panthéon Olympe de Gouges et Solitude. Marie Curie, première femme reçue ès qualités au Panthéon n’y entra qu’en 1995. Sophie Berthelot l’avait précédée en ce lieu, mais elle y fut inhumée uniquement en tant qu’épouse du grand chimiste. Récemment, les Justes ont été célébrés, et plusieurs femmes ont franchi le seuil du Panthéon, le temps de la cérémonie. Mais il convient d’aller plus loin. Olympe de Gouges est à nos yeux une figure éclatante. Femme de lettres et femme politique, elle porta avec un courage exemplaire le combat de l’égalité des droits. En 1791, elle rédigea une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, qui affirmait haut et fort dans son article 1 : « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. » Elle se battit, non sans succès, pour que les femmes puissent prendre part aux commémorations nationales, et notamment aux cérémonies du 14 juillet 1792. Elle milita pour le droit au divorce, qui fut obtenu quelques mois plus tard. Dès 1788, dans son projet de « caisse patriotique », elle développa des idées visionnaires sur la solidarité nécessaire pour secourir les pauvres. Elle chercha à défendre les droits des chômeurs et des mendiants, autant de sujets dont l’actualité demeure, hélas, brûlante. Mais Olympe de Gouges milita aussi, on l’ignore souvent, contre l’esclavage, qui fut aboli par la Première République en 1794, avant d’être rétabli par Napoléon huit ans plus tard. Dès 1788, elle publia ses Réflexions sur les hommes nègres, puis Le Marché des noirs en 1790 et L’Esclavage des noirs, oeuvre composée dès 1785, et inscrite au répertoire de la Comédie-française. Engagée dans cette lutte, elle adhéra à la Société des Amis des Noirs, aux côtés de Brissot, Condorcet, Lafayette, l’Abbé Grégoire, lequel l’inscrivit sur la liste des « hommes courageux qui ont plaidé la cause des malheureux Noirs ». La cause des femmes, la cause des noirs, la cause des opprimés en général, tels furent les combats admirables d’Olympe de Gouges. Nous voulons vous proposer aussi une autre figure, une autre femme, celle qu’André Schwarz-Bart a célébrée dans son roman, La Mulâtresse Solitude. On oublie souvent que les esclaves ont été les premiers à se battre contre l’esclavage, évidemment, et on oublie encore plus que les femmes ont pris part à ce combat. Il convient donc de rappeler ces deux vérités, qu’illustre Solitude. Née en Guadeloupe dans la commune de Capesterre, elle n’hésita pas à rejoindre le commandant Delgrès et les autres marrons, lorsque Napoléon décida de rétablir l’esclavage. La résistance s’organisa contre les soldats du général Richepance. Solitude combattit, les armes à la main. Retranchée avec Delgrès à Matouba, elle fut finalement capturée et condamnée à mort. Comme elle était enceinte, on attendit que le petit esclave naisse, et elle fut exécutée le lendemain de son accouchement. En 1999, la commune des Abymes en Guadeloupe décida d’honorer son nom en érigeant une statue à sa mémoire sur le boulevard des Héros. Le 10 mai 2007, une autre statue sera inaugurée en son honneur dans la ville de Bagneux, place de la Liberté. Evidemment, Solitude est une figure peu célèbre, moins connue encore qu’Olympe de Gouges. Mais telle qu’elle est construite, la mémoire nationale, en particulier la mémoire des « grands hommes » tend à rendre invisibles les femmes, bien sûr, les noirs aussi, et a fortiori les femmes noires. Il est donc fatal que les femmes, les noirs et les femmes noires que l’on pourrait panthéoniser souffrent d’un déficit de notoriété. C’est d’ailleurs pour cela que nous faisons cette proposition. Pour faire connaître des figures qui méritent de l’être ; pour que la mémoire nationale devienne plus équitable ; pour que la société française aussi devienne plus juste ; pour que chacun sache qu’il peut y trouver sa place. En outre, après la récente célébration des Justes, il nous semble opportun de montrer que la mémoire nationale doit aujourd’hui reconnaître les héros invisibles, les héros ordinaires, les héros oubliés, qui ont été parfois les figures les plus belles, les plus touchantes, et d’une certaine façon les plus authentiques. Les héros ne sont pas nécessairement des hommes en armes, l’épée à la main, et l’éperon à la botte. Ce sont aussi ces femmes des rues, pendant la Révolution, qui bravaient les soldats et réclamaient du pain pour leurs enfants ; ce sont parfois des citoyens ordinaires comme les Justes qui risquaient leurs vies pour en défendre d’autres ; ce sont encore ces marrons anonymes et ces femmes esclaves entrant en résistance. Par leur contribution décisive quoique discrète, ces héros invisibles ont écrit peut-être les plus belles pages de l’histoire de France. En 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, l’historienne Catherine Marand-Fouquet avait proposé qu’Olympe de Gouges reçoive les honneurs du Panthéon. Aujourd’hui, les associations noires qui constituent le CRAN se joignent aux mouvements féministes pour soutenir cette demande, et proposer en outre que Solitude figure aux côtés d’Olympe de Gouges dans l’illustre tombeau. A l’évidence, le combat pour les droits civiques et pour l’égalité, qu’il s’agisse des femmes ou des noirs, est lié à la Révolution et à la République. Il nous semble que celles et ceux qui poursuivent cette lutte aujourd’hui renforcent l’universalisme, qui est une conquête perpétuelle. Cette double panthéonisation serait, à n’en pas douter, un symbole magnifique de concorde nationale, de simplicité et de grandeur, et il nous plaît de croire qu’Olympe et Solitude seraient heureuses de se trouver côte à côte… Le Panthéon, demain, sera plus beau, avec Olympe de Gouges et Solitude.

Parmi les premiers signataires de cet appel figurent : Laure Adler (journaliste), Maïté Albagly (secrétaire générale du Planning familial), Elisabeth Badinter (philosophe), Clémentine Autain (adjointe au maire de Paris), Christine Bard (historienne, Institut Universitaire de France, Université d’Angers), Françoise Barret-Ducrocq (historienne, présidente de l’Institut Emilie du Châtelet), Sophie Bessis (historienne, secrétaire générale adjointe de la FIDH), Martine Billard (députée), Olivier Blanc (historien), Christine Cadot (politiste, Harvard), Aimé Césaire (poète, dramaturge, homme politique), Danielle Charest (écrivaine), Nicole Claude-Matthieu (sociologue, EHESS), Stéphane Coloneaux (porte-parole du PCF), Maryse Condé (écrivaine, présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage), Christine Delphy (sociologue, CNRS), Marie Desplechin (écrivaine), Elsa Dorlin (philosophe, Université Paris I), Jean-Pierre Dubois (président de la Ligue des Droits de l’Homme), Eric Fassin (sociologue, ENS), Caroline Fourest (essayiste), Geneviève Fraisse (philosophe, CNRS), Françoise Gaspard (politologue, EHESS), Arlette Gautier (sociologue, Université de Bretagne), Christophe Girard (adjoint au maire de Paris), Edouard Glissant (écrivain), Marie-Elisabeth Handman (sociologue, EHESS), Anne Hidalgo (première adjointe au maire de Paris), Pénélope Komitès (adjointe au maire de Paris), Anne Lafont (historienne de l’art, Université de Marne-la-Vallée), Noël Mamère (député), Philippe Mangeot (ancien président d’Act Up), Catherine Marand-Fouquet (historienne, membre du comité de rédactionde Clio), Pap Ndiaye (historien, EHESS), George Pau-Langevin (avocate, ancienne présidente du MRAP), Bruno Perreau (politiste, Sciences-Po Paris), Michelle Perrot (historienne, professeure émérite, Paris VII), Stéphane Pocrain (homme politique), Joan W. Scott (historienne, Princeton), Claude Servan-Schreiber (écrivaine), Louis Sala-Molins (philosophe, professeur émérite, Paris I), Charles Sowerwine (historien, université de Melbourne), Benjamin Stora (historien, Paris VIII), Fodé Sylla (membre du Conseil Economique et Social, ancien président de SOS Racisme), Christelle Taraud (Columbia University, EHESS/CNRS), Estelle Taraud (réflexologue), Jean-Claude Tchicaya (adjoint au maire de Bagneux, porte-parole du collectif Devoirs de mémoires), Francis Terquem (avocat, co-fondateur de SOS-Racisme), Françoise Vergès (politologue, University of London, vice-présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage), Elianne Viennot (professeure de littérature, Institut Universitaire de France, Université de Saint-Etienne), Roch Wamytan (sénateur coutumier de la Nouvelle Calédonie). An Nou Allé, CAAC-Comores, Comité IDAHO (International Day Against Homophobia), le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires), la LDH (Ligue des Droits de l’Homme), la SIEFAR (Société Internationale des Femmes de l’Ancien Régime), la ZEP.


 

Suivez l'actualité du CNMHE
sur Facebook et Twitter

CONTACT

Président :
Frédéric REGENT

Assistante de direction
Chargée de communication:
Magalie LIMIER

CNMHE
Ministère des Outre-Mer
27 rue Oudinot 75007 PARIS

Mail : sec-cnmhe@outre-mer.gouv.fr

LIENS

Autres liens...

Accueil du site | Crédits