2006, Discours lu par Celia Casas le 5 mai 2006 devant les élèves du collège J.-Y. Cousteau, dans le cadre de la première édition du 10 mai, journée des mémoires de l’esclavage, de la traite et de leurs abolitions.

TRAVAIL REALISE PAR CELIA CASAS (4e3) COLLEGE JACQUES YVES COUSTEAU (Caudebec-lès -Elbeuf ; année 2004-2005)

Ce discours fictif fut réalisé dans le cadre d’un itinéraire de découverte en classe de 4e. Chaque élève jouait le rôle d’un député envoyé en mission à l’île Bourbon en 1847 et qui, à son retour, prononçait un discours appelant à l’abolition de l’esclavage. Le journal de bord du député servant de base à l’élaboration de ce travail était constitué d’une trentaine de documents.

Ce discours a été lu par Celia Casas le 5 mai 2006 devant les élèves, dans le cadre de la première édition du 10 mai, journée des mémoires de l’esclavage, de la traite et de leurs abolitions.

DISCOURS PRONONCÉ À L’ASSEMBLÉE NATIONALE LE 3 DÉCEMBRE 1847

Monsieur le Président du Conseil,

Messieurs les députés,

Je m’adresse à vous aujourd’hui afin d’aborder un point important pour l’avenir de l’humanité. Je reviens en effet d’une île que vous connaissez certainement mais dont vous ignorez tout de ce qui s’y passe : l’île Bourbon.

Lors de mon séjour, j’ai tenu un journal racontant les événements passés là-bas et les horreurs auxquelles j’ai pu assister. Je suis en effet un abolitionniste, et je voudrais vous faire part de mon expérience.

Imaginez une famille, habitant dans ses terres et jouissant d’une liberté propre à tout être humain. Ou plutôt, pour que cela soit plus réaliste à vos yeux, imaginez votre famille. Un jour, sans vous donner aucune raison et sans vous demander votre avis, des hommes, appelés " esclavagistes ", viennent vous arracher à vos terres, et vous emmènent loin de ceux que vous aimez. Vous vous retrouvez dans un fourgon avec d’autres personnes ne parlant pas la même langue que vous, et n’ayant pas les mêmes coutumes. Vous arrivez ensuite sur le littoral et là, vous êtes enchaîné, enfermé dans les cales d’un bateau, dans le noir, entassé avec d’autres personnes. Vous ne comprenez rien, vous paniquez, vous hurlez, pleurez, mais il n’y a rien à faire. Vos cris agacent les négriers, ils descendent, vous sortent, et vous fouettent jusqu’à ce que vous vous taisiez. Vous n’avez pas le choix, vous vous rabaissez.

Cela fait déjà longtemps que vous n’avez pas vu la lumière du jour. Plusieurs personnes sont déjà mortes, et l’odeur de pourriture qui se répand est insupportable. Faible, affamé, vous ne sauriez bouger la jambe tant la fatigue vous accable. Soudain, trois négriers descendent. Ils font monter sur le pont une dizaine de personnes. Vous faites partie du lot. A peine sorti, il vous est impossible d’ouvrir les yeux. Le soleil vous éblouit tellement, que vous les cachez avec vos mains et tombez à terre, épuisé. Un des négriers vous oblige à vous relever. Vous ne répliquez pas ; la première fois vous a servi de leçon. Vous savez qu’il se ferait un plaisir de claquer son fouet sur votre dos. Par-dessus bord, l’océan à perte de vue. Le soleil est haut dans le ciel, la chaleur est étouffante. Soudain, on vous dénude. Vous vous énervez, cherchant le quelque peu de forces qu’il vous reste pour résister, mais la vue du fouet sous votre nez vous ravise. Encore une fois, vous n’avez pas le choix. Vous vous retrouvez à danser comme des marionnettes sous le regard moqueur des négriers. Deux d’entre vous ne supportent pas cette humiliation. Ils se ruent par-dessus bord, se jetant à l’eau. Tous les hommes présents sur le pont s’affolent, certains criant : " la marchandise s’échappe ! La marchandise s’échappe ! ". Aussitôt, on apporte des filets, des cordes que l’on jette à l’eau afin de les rattraper.

Déjà le premier esclave n’est plus visible : il a coulé faute de savoir nager. Le deuxième résistera quelques minutes avant d’être pris en chasse par trois requins, puis dévoré. Le voyage se termine enfin, après plusieurs semaines passées dans d’atroces conditions. Les négriers vous déchargent à terre.

Sur un voyage de courte durée (7 à 10 jours) environ 15% des captifs ne s’en sortent pas vivants. Je vous laisse donc imaginer ce qu’il en est pour un voyage comme celui-ci, qui dure approximativement 2 à 3 mois. Une fois débarqué, vous êtes réuni avec les autres captifs arrivés à bord de deux autres bateaux, puis séparés selon le sexe. Avec le reste des hommes, dont vous formez le groupe des bras forts, vous êtes amené à l’extérieur du village. Enfermé dans une sorte d’enclos où vous devez attendre toute une journée au cas où vous seriez porteur de maladies. Vous en profitez pour vous reposer et manger.

Le lendemain vous êtes réveillé tôt dans la matinée et emmené au coeur même du village. Assemblés en ligne sur une très grande place, vous faites la réjouissance d’un grand nombre de personnes. Quelques-unes s’approchent de vous, commencent à vous tâter les muscles, à vous examiner les dents comme l’on ferait à un cheval. Après environ 1 heure d’examen, vous semblez intéresser une personne. Celle-ci vous désigne du doigt, et un négrier vient vous détacher afin de vous remettre à votre nouveau propriétaire, comme un vulgaire objet. Vous pouvez déjà juger par vous-mêmes, chers députés, la difficulté de survie de ces esclaves, réduits à néant par des Français comme vous et moi. Même si vous ne pratiquez pas ce marché d’esclaves, le seul fait de donner votre accord à ce qu’il existe, fait de vous les premiers coupables. Mais je n’ai pas encore fini mon récit. Après ces longs mois de traversée, il me reste encore à vous toucher quelques mots de leur vie quotidienne, de ce qu’ils subissaient chaque jour, chaque moment où ils s’arrêtaient de travailler quelques minutes pour penser à leur famille, à leur femme et à leurs enfants restés là-bas ou même, peut-être, ce qu’ils redoutaient le plus : qu’ils aient eux aussi subi le même sort. Je ne sais pas si vous réalisez un peu dans quelles conditions leur vie a basculé ! Dans quelles conditions ils se sont retrouvés ainsi, eux qui étaient tranquillement installés sur leurs terres, dans leurs maisons ! Les pauvres étaient chaque jour épuisés. Le travail dans les champs était insupportable : la chaleur qui les assoiffait, le dur travail à la main qui les exténuait. Comment tenir dans de pareilles conditions ? Comprenez qu’au bout de deux mois de dur labeur, il leur fallait trouver une autre solution. Ils savaient qu’ils ne pourraient tenir longtemps ; que tôt ou tard ils succomberaient. Beaucoup ont essayé de fuir. Ceux qui étaient rattrapés étaient marqués au fer rouge ou on leur coupait le jarret de façon à ce que ça leur serve de leçon. Et, pour ceux qui arrivaient à s’échapper, la vie qu’ils menaient, là-bas, réfugiés dans les montagnes ou au fin fond des forêts, n’était guère plus facile. Il fallait trouver de quoi se nourrir, de quoi boire ou encore de quoi se construire un abri pour la nuit. Cependant, ils étaient libérés des coups de fouet, des ordres et de toutes ces choses horribles que les maîtres leur faisaient subir. Mais il fallait tout de même rester discret. Les redoutables chasseurs de noirs n’avaient aucune pitié, aucun scrupule ! Lorsque par malheur ils découvraient un camp marron, ils tuaient toute personne que ce soit des femmes, des vieillards ou même des enfants. Ils n’en avaient rien à faire. J’ai été témoin de cela. J’ai vu des femmes et des enfants se ruer vers le vide, rouler follement sur les pentes rocailleuses et s’abîmer dans le gouffre, où leurs cris résonnaient avant de s’éteindre. Une fois la chasse terminée, ils prenaient soin d’emporter avec eux les mains droites de chaque mort afin d’être payés pour leur travail.

C’est ainsi que chaque jour les esclaves tentent de survivre. C’est ainsi que chaque jour un grand nombre d’entre eux périssent. Ils n’ont pas d’autres choix.

Voilà, vous savez maintenant ce que signifie le mot " esclavage ". Il ne vous reste plus que deux solutions :

- vous rendre compte que les esclaves sont des hommes à part entière et faire le choix de les sauver en disant "non " à l’existence de l’esclavage ;

- ou bien continuer à penser qu’ils ne valent pas mieux que des animaux et qu’ils ne sont bons qu’à faire ce qu’on leur demande, et les laisser mourir.

Leur sort est entre vos mains. Vous êtes des hommes, vous aimez votre vie, votre famille, votre travail mais eux aussi aiment la vie, aiment leur famille. Alors laissez-les vivre heureux !

Merci


 

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