10 mai 2007. Saint-Ouen, discours du maire

Saint-Ouen

Lors de ce 10 mai 2007, Jacqueline Rouillon a prononcé le discours suivant sur la place de la mairie :

« La cérémonie qui nous réunit ce soir est d’abord un acte de réparation. Réparation d’un martyr trop longtemps nié, d’une histoire trop longtemps tue, d’une mémoire trop longtemps occultée.

Pendant près de quatre siècles, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants Noirs ont été arrachés à leur terre et à leur famille, déportés par bateaux entiers, convoyés comme des animaux, vendus sur les places publiques comme des marchandises.

Pendant près de quatre siècles, les esclaves ont connu les coups de fouet, les viols, les humiliations, le marquage au fer rouge, le broyage de leur identité.

Pendant près de quatre siècles, la traite négrière et l’esclavage ont donné lieu à un commerce à l’échelle mondiale.

Cette entreprise de déshumanisation absolue a été organisée, encadrée, pensée, planifiée.

Le sinistre Code Noir initié par Colbert et promulgué par Louis XIV, prenait soin de définir en soixante articles précis le statut des esclaves, leurs conditions de vie et de mort, d’achat et de vente, d’affranchissement et de religion.

Pendant près de quatre siècles, c’est bien à un crime contre l’Humanité auquel se sont livrées les grandes puissances maritimes et coloniales, en particulier la France, le Royaume Uni, l’Espagne, le Portugal, les Pays Bas, les Etats-Unis. Ce crime n’est pas seulement l’expression d’une déraison ou d’un égarement mortifère de l’humanité contre une partie d’elle-même. Elle est la conséquence ultime de l’organisation d’une société, de la logique d’un système économique qui, n’a pas hésité à transformer des millions d’être humains en simples choses.

Lorsque l’esclavage a été enfin aboli en 1848, des consignes de silence ont été données. Il fallait oublier, faire comme si tout cela n’avait jamais existé. Faire comme s’il était impossible, impensable que le siècle des lumières ait pu produire dans le même temps une telle obscurité. Et au bout du compte, faire en sorte que les descendants des populations d’esclaves, éprouvent d’abord de la honte, alors que tout devait au contraire les inciter à la révolte.

Ce silence institutionnel imposé pendant des décennies n’a été rompu que par l’adoption, le 10 mai 2001, d’une loi dans laquelle la République Française reconnaît la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité.

Mais pour en arriver là, il a fallu le combat inlassable de nombreuses associations, en particulier aux Antilles et en Guyane, les prises de position d’intellectuels et d’artistes comme le grand poète Aimé Césaire, dont une rue de Saint-Ouen porte désormais le nom, et l’action persévérante de parlementaires.

Cette mobilisation s’est exprimée avec une très grande force le 23 mai 1998, en rassemblant 40 000 personnes à Paris.

Cette journée nationale de célébration des victimes de l’esclavage et de son abolition, n’a rien d’une commémoration ethnique, ni d’une concession à une forme de communautarisme. Elle n’est pas une histoire de Noirs pour les Noirs, et encore moins de Noirs contre les Blancs. Elle n’est pas un rattrapage d’histoire qui consisterait à concurrencer les victimes d’un autre crime contre l’humanité.

Elle est l’histoire de tous, une histoire partagée que chacun doit s’approprier, afin de pouvoir trouver sa place dans la République, sa dignité dans la société, en dehors de toute construction identitaire. Avec ce travail de mémoire, il ne s’agit pas non plus de faire porter la responsabilité des actes abominables qui furent commis aux générations d’aujourd’hui. Regarder le passé sans concession, c’est aussi l’appréhender sans confusion. N’oublions pas que la République est née, aussi, avec le combat contre l’esclavage. N’oublions pas que des hommes et des femmes ont puisé, dans ces valeurs républicaines, les raison de lutter contre l’esclavage, je pense bien sûr à Victor Schoelcher, à Toussaint Louverture, à Olympes de Gouges, ou encore au commandant Louis Delgrès qui, organisant la résistance à l’armée envoyée en Guadeloupe par Napoléon 1er pour y rétablir l’esclavage, lança au monde entier ce qu’il appela « un cri de l’innocence et de désespoir ». En nous faisant mieux percevoir la souffrance immémoriale que ressentent encore aujourd’hui les descendants des victimes de la traite négrière et de l’esclavage, cette soirée nous permet de poser des questions essentielles : comment notre histoire a-t-elle rencontré celle d’autres groupes humains ? Et comment vivre ensemble avec nos différences, en construisant et en partageant des valeurs et des aspirations communes ?

Oui, plus que jamais nous avons le devoir de combattre toutes les discriminations fondées sur la couleur de peau, que ce soit pour accéder à l’emploi, au logement, aux loisirs, ou à des postes. C’est dire que notre commémoration de ce soir est d’abord un acte d’avenir, un appel impérieux à la prise de conscience et à la vigilance, dans le contexte des enjeux qui marquent notre époque. C’est un jalon irremplaçable dans notre engagement pour construire le monde plus juste, plus solidaire et plus respectueux de la dignité de chacun, auquel nous aspirons tous. »


 

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