10 mai 2007. Discours de Michel Destot, maire de Grenoble

10 juin 2007

Cérémonie commémorative de l’abolition de l’esclavage Parvis des droits de l’homme, Grenoble, lieu où fut le 14 mai 2006 inaugurée une plaque en l’honneur du combat de Toussaint Louverture.

Discours de Michel Destot, Maire de Grenoble.

Source : mairie de Grenoble.

« Rien n’est plus misérable que la condition de ce peuple . Quelques racines font toute sa nourriture ; ses maisons ressemblent à des tanières. Ses meubles consistent en quelques calebasses. Son travail est presque continuel. Nul salaire ; vingt coups de fouet pour la moindre faute ».

Monsieur le Président du collectif Traite Négrière, Mesdames et Messieurs les Elus, Mesdames et Messieurs les Représentants d’associations, Mesdames et Messieurs,

Par ces mots écrits en 1731 dans son histoire de Saint-Domingue, le missionnaire jésuite Charlevoix était encore très loin de dénoncer l’ampleur du crime contre l’humanité infligé aux esclaves noirs dans nos colonies au XVIIIème siècle.

Durant plus de trois siècles, les esclaves noirs auront été privé de liberté et de dignité, marqués au fer rouge, mutilés en cas d’évasion, violées pour beaucoup de femmes.

De la première expédition négrière des Européens en 1441 – avant même la découverte de l’Amérique- aux abolitions du XIXème siècle, la traite occidentale et l’esclavage auront arraché à l’Afrique des millions d’êtres humains privés de leur identité, arrachés aux leurs et à leur culture, entassés dans des bateaux où plus d’un sur dix mourait, vendus comme du bétail, exploités dans des conditions misérables. Et parmi eux combien livrés à des colons français, combien vendus par les armateurs de Bordeaux et de Nantes !

Au cours des trois siècles de traite négrière intensive, la plupart des puissances européennes se sont livrées à ce trafic. Mais ayons le courage d’affronter notre histoire en face, la France fut l’un des principaux pays négriers du fait de sa façade maritime et de ses possessions américaines. C’est la France qui promulgua le code noir qui, en 1685, assimila les esclaves noirs à des meubles, leur déniant ainsi toute humanité. C’est encore en France que l’abolition définitive de l’esclavage ne fut adoptée que trois années après la fondation de la société protectrice des animaux. Le combat pour l’abolition aura été long. Certes, l’abbé Grégoire créait en 1788 la Société des Amis des Amis des Noirs. Mais pour un village de Franche-Comté, Champagney, réclamant dans son cahier de doléances la fin de l’esclavage, combien de révolutionnaires s’enrichissant dans le commerce des êtres humains ! quel oubli dans la déclaration des droits de l’Homme du 4 août 1789 ! quel retard pris à abolir enfin en 1794 l’esclavage dans les colonies françaises ! quelle indifférence au rétablissement de l’état de servitude en 1802 ! Il faudra la Révolution de 1848 pour permettre enfin l’abolition définitive de l’esclavage sous l’impulsion de Victor SCHOELCHER, ce grand homme qui repose aujourd’hui au Panthéon.

Mesdames et Messieurs, le destin d’un pays est fait de moments glorieux et de zones d’ombres. On nous dit qu’il faut exalter les moments glorieux sans s’arrêter aux zones d’ombres car la repentance serait une forme de haine de soi. Eh bien je ne le crois pas. Si nous somme rassemblés aujourd’hui si nombreux, fidèles au rendez-vous de la mémoire, élus, responsables associatifs, simples citoyens, c’est parce que nous savons bien, quant à nous, que le regard porté sur notre passé est une des clés de notre cohésion nationale. La repentance n’est pas la haine de la France, elle est une démarche saine guidée par l’amour de la vérité. Elle ne menace pas la République, c’est tout le contraire. La République est née avec le combat contre l’esclavage. 1794, 1848 : la République, cela a toujours été l’abolition.

Voilà pourquoi le travail mémoriel des dernières années doit être préservé et encouragé. Avec la loi Taubira-Delannon du 10 mai 2001 reconnaissant le caractère de crime contre l’humanité de l’esclavage et de la traite négrière et avec la décision du président Jacques CHIRAC d’instaurer une journée nationale de commémoration, beaucoup a été fait sur le plan national.

A Grenoble, ville de liberté, nous avons bien entendu voulu accompagner ce mouvement en posant une plaque en hommage à Toussaint Louverture à deux pas de l’ancien hôtel de Ville, là où la Révolution française trouva son berceau le 7 juin 1788, lors de la journée des Tuiles. Il s’agit pour nous, comme il s’agissait pour l’Etat en décidant d’une journée nationale de commémoration, de rendre justice et mémoire aux victimes d’un crime contre l’humanité qui appartient à notre histoire ainsi qu’à leurs descendants.

Ce devoir de mémoire, nous le devons à toutes les victimes de tous les crimes. Au nom du principe d’équité entre tous nos concitoyens, il est de notre devoir de prendre en charge la mémoire des victimes des crimes contre l’humanité, sans entrer bien sûr dans des concurrences mémorielles qui seraient perverses mais avec le souci d’empathie pour tous. L’article premier du Code Noir chassant les Juifs des colonies françaises nous rappelle à bon escient que l’intolérance et le racisme ont frappé des populations diverses dont les souffrances ne peuvent pas êtres opposées les unes aux autres.

Toute forme de racisme , toute forme d’antisémitisme sont des atteintes à la République, elles doivent être combattus ensemble. Ce combat est malheureusement encore d’actualité. Cent cinquante neuf ans après l’abolition de l’esclavage, il nous faut reconnaître que bien des barrières sont encore à faire tomber dans la France d’aujourd’hui. Pour l’accès au logement ou l’emploi, nos concitoyens d’origine antillaise ou africaine subissent encore bien des discriminations. Nos compatriotes antillais en particulier sont encore trop souvent considérés comme des étrangers dans leur propre pays.

Cette logique de relégation et d’exclusion doit être combattue, il en va de la justice dans notre pays mais aussi de la cohésion de notre société où il nous appartient d’assurer l’égalité des chances entre tous nos concitoyens. Le devoir de mémoire n’a pas de vocation muséographique : il nous invite à nous engager dans le temps présent contre l’intolérance et contre les discriminations. Il y a un lien évident entre la traite négrière et les discriminations subies par les descendants des Africains déportés en Amérique. La tragédie de l’esclavage a encore aujourd’hui des échos. En Occident, l’esclavage a donné corps aux thèses racistes les plus insupportables, en contradiction absolue avec les idées des Lumières. On ne peut rappeler que la traite fut un crime contre l’humanité et accepter que, aujourd’hui en France, la couleur de peau soit un frein pour travailler ou pour disposer d’un logement décent. Le sens d’une commémoration comme la nôtre, c’est l’affirmation de l’universalité et de l’indivisibilité de l’espèce humaine. Ce ne sont pas là seulement des valeurs abstraites mais des principes à respecter de façon concrète, comme le font les Grenoblois, les citoyens de notre ville cosmopolite. L’égalité des droits nous enrichit tous humainement. John ILIFFE écrivait à propos de la traite : « Paradoxalement cette période douloureuse montra également la résistance humaine sous ces aspects les plus courageux. La splendeur de l’Afrique était aussi dans sa souffrance ».

Mesdames et Messieurs, je crois pour ma part que c’est la splendeur de l’humanité tout entière qui s’est affirmée dans la résistance à l’esclavage et dans le combat abolitionniste. Héritiers de l’abbé Grégoire, des révolutionnaires de 1794 et de Victor SCHOELCHER, nous sommes aujourd’hui les dépositaires de ce moment de la conscience humaine où la France brisa les chaînes des esclaves noirs. Puisse cet esprit inspirer nos prochains combats pour rendre toujours plus effectifs les droits des minorités et les droits de nos concitoyens laissés au bord de la route, toujours plus précarisés, toujours plus menacés d’exclusion.

Puissions-nous nous en inspirer pour placer l’homme au cœur de nos politiques publiques et de nos engagements collectifs.

Vive la commémoration de l’abolition de l’esclavage !

Vive la liberté !

Vive l’égalité !

Vive la fraternité !

Et vive la République !


 

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