10 mai 2007. Panthéon. Discours du Grand Maître du Grand Orient de France
Source : http://www.fraternite-caraibe.org/article.php3 ?id_article=102
Discours du Grand Maître du Grand Orient de France (GODF) le 10 mai 2006 lors de l’inauguration, au Panthéon, de l’exposition sur les Françs-Maçons au Panthéon.
Article publié le samedi 8 juillet 2006.
Célébration de l’abolition de l’esclavage Intervention du Grand Maître, Président du Conseil de l’Ordre, Jean-Michel QUILLARDET, au Panthéon, le mercredi 10 mai 2006.
Aimé Césaire, par ces quelques vers, a exprimé la nuit obscure de ses ancêtres et la trace toujours infligée à ses fils : « J’habite une blessure sacrée j’habite des ancêtres imaginaires j’habite un vouloir obscur j’habite un long silence j’habite une soif irrémédiable j’habite un voyage de mille ans j’habite une guerre de trois cents ans j’habite un culte désaffecté entre bulbe et caïeu j’habite l’espace inexploité [...] ayant craché volcan mes entrailles d’eau vive je reste avec mes pains de mots et mes minerais secrets »
Francs-Maçons du Grand Orient de France, Francs-Maçons et Francs-Maçonnes des Obédiences amies, Nous sommes réunis ce jour, après avoir déposé une gerbe sur la tombe de notre Frère Victor Schoelcher, Sénateur, Franc-Maçon du Grand Orient de France initié à la R∴ L∴ « Les Amis de la Vérité » à l’âge de 22 ans, pour dire que nous autres, combattants de la liberté, révolutionnaires de l’esprit, sentinelles de la conscience républicaine, que la traite des Noirs et l’esclavage font partie, à part entière, des crimes commis contre l’humanité et qui doivent être non seulement jugés comme tels, mais célébrés comme tels.
Il ne s’agira jamais, pour nous, d’opposer victimes contres victimes, génocides contre génocides, mémoires contre mémoires mais, avec force et vigueur, de proférer à l’égard de tout ce qui a porté atteinte à l’homme dans son humanité profonde, de tout ce qui a conduit des hommes à être humiliés, martyrisés, torturés, de tout système organisé de manière concentrationnaire, totalitaire, marchand pour emprisonner les êtres humains, un cri, celui de l’inacceptable, celui de l’intolérable.
Il ne s’agit pas ici d’un regard compassionnel sur le passé mais du souvenir qui nous porte vers l’avenir pour répéter, une fois encore : « plus jamais ça ».
Il ne s’agit pas ici de saluer une communauté plutôt qu’une autre, mais de réunir par le souvenir de l’horreur et de la révolte la communauté des hommes et de l’humanité toute entière.
Il ne s’agit pas ici d’une mémoire périodique et de circonstance, mais bien d’un appel tourné vers l’avenir pour une société plus juste, plus fraternelle, plus humaine.
Mais cet appel-là, dans notre société où sévissent la déshérence sociale, la déstructuration citoyenne et sur ce terreau-là, la renaissance certaine de vieux fonds de racisme et de xénophobie, doit être encore plus puissant. Car cette idée de « la traite des Nègres » subsiste aujourd’hui dans le regard de certains de nos compatriotes, dans ce racisme quotidien que subissent nos citoyens : il y a alors le ressenti de tout ce qui a pu, à un moment donné, expliquer cette abominable traite, à savoir d’être considéré comme un être à part, comme un sous-homme, comme un sous-produit de l’humanité.
Oui, ne nous leurrons pas, ce sentiment qu’il puisse exister des catégories d’humanité dans notre société aujourd’hui en France, comme dans le monde, est encore suffisamment tenace pour que, par la mémoire, nous soyons toujours vigilants à faire respecter les valeurs qui sont les nôtres, si bien représentées par Victor Schoelcher, les valeurs de l’humanisme profond.
Chaque Franc-Maçon, chaque républicain se trouve atteint dès lors qu’un noir est regardé comme un noir, un juif comme un juif. Chaque homme se trouve blessé, en lui-même, quand un crime est commis contre l’Homme en tant qu’Homme. N’oublions pas le Code Noir où le nègre était juridiquement considéré, au sens du Code Civil, comme un meuble meublant.
Si Victor Schoelcher est une figure emblématique du rôle que les Francs-Maçons du Grand Orient de France ont joué au cours de l’histoire, il a, en 1848, concrétisé sur le plan politique et parlementaire tout un mouvement tendant à la libération des hommes de leurs chaînes. Il faut ici rappeler que dès la pensée des Lumières, dont nous sommes issus, l’esclavage était condamné. Montesquieu déclare ainsi : « L’esclavage est aussi opposé au droit civil qu’au droit naturel ... ».
Rousseau balaye d’un revers de la main toutes les justifications couramment données au maintien de cette pratique : « Ces mots, esclavage et droit sont contradictoires, ils s’excluent mutuellement ... ». Condorcet écrit dans ses réflexions sur l’esclavage des nègres qu’il signe d’un pseudonyme, Monsieur Schwartz, ces mots : « Réduire un homme à l’esclavage, l’acheter, le vendre, le retenir dans la servitude, sont de véritables crimes et des crimes pires que le vol ... ». Au moment même de la Révolution, Olympe de Gouges se propose de poursuivre un double combat pour l’abolition de l’esclavage, pour l’égalité des droits de la femme en écrivant une pièce de théâtre « l’esclavage des nègres » et en lançant la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
Mais il faut ici exprimer que ce sont les noirs eux-mêmes qui ont pris en main et en charge leur destin. C’est d’abord la révolte des noirs qui a permis, non seulement cette prise de conscience, mais la libération même de l’étau et du martyr. Citons le plus célèbre d’entre eux, Toussaint Louverture sans lequel rien n’aurait été, non plus, possible.
Il ne faut pas occulter le fait que l’abolition de l’esclavage en 1848 n’a pas empêché cette colonisation de tous ces pays à qui l’on enseignait « nos ancêtres les Gaulois », colonisation qui, sur le plan économique, a entraîné nombre de contrées en déshérence économique, dévastées.
Oui, c’est bien ce que l’on appelle désormais, titre éponyme d’un film « le cauchemar de Darwin ». Vous savez ce livre où un lac où la nature s’est desséchée, avec ces poissons soumis aux conserveries internationales dont il ne reste plus que des cadavres dont se nourrissent les populations locales et ces enfants qui pour survivre se prostituent. Il nous faut nous souvenir du cauchemar pour reprendre foi dans l’humanité et dans l’homme et dans l’espérance afin de dire encore que toute bête immonde est toujours prête à renaître et que c’est le seul rassemblement des hommes de bien, de ceux qui essayent de trouver dans l’homme ce qu’il a de meilleur qui, réunies mémoire et vigilance, permettront alors à l’humanité de triompher.
Selon le Bureau International du Travail, près de 13 millions d’hommes, femmes et enfants sont victimes du travail forcé dans le monde, esclaves domestiques, serfs opprimés sur un lopin de terre, petite main soumise dans un atelier. Ce chiffre comprend, ne les oublions pas non plus, les 2,4 millions de victimes de la traite des êtres humains dont les prostituées et clandestins pris dans les filets de mafias internationales. Le rapport du Bureau International du Travail précise l’estimation des profits réalisés grâce à l’esclavage moderne, soit 32 milliards de dollars par an, soit 13 000 dollars par victime.
En France, depuis 1994, s’est constitué un comité contre l’esclavage moderne et ses interventions sont de plus en plus fréquentes car il existe également dans notre pays des hommes, des femmes, souvent des enfants qui se voient exploités avec confiscation du passeport ou des papiers d’identité, séquestration totale ou partielle, conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine, rupture des liens familiaux.
Alors oui, écoutons encore l’appel, le cri, les vers de Léopold Sédar Senghor devant l’Ile de Gorée : « Notre négritude n’est pas le sang versé et les blessures infligées à notre chair, la négritude est civilisation, qui a pu triompher de l’indéfinissable et dire la plénitude du droit d’être homme, porteur de l’humaine condition ».
Le regard de ces enfants esclaves, encore aujourd’hui, le regard de ces victimes apeurées d’un siècle déshumanisé, le regard de l’esclave vendu comme marchandise, par delà le temps et l’espace, est désormais et pour toujours notre regard.
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