La France est-elle le seul Etat à commémorer le souvenir des esclaves et des combats pour l’abolition de l’esclavage ?

Contrairement à une idée reçue, la France n’est pas le seul pays à honorer la mémoire des afro-descendants réduits à l’esclavage à l’époque de la traite transatlantique. Après le temps fondateur des abolitions juridiques, advient progressivement celui de la reconnaissance historique et des mesures de lutte contre les discriminations héritées du passé esclavagiste

Pour autant, chaque Etat commémore cette histoire tragique selon ses traditions et en fonction des traces et des héritages qu’elle a inscrite dans la société.

La singularité de la France : une législation concernant la mémoire de l’esclavage

Jusqu’en 2010, la France était toutefois le seul pays à avoir choisi le recours à la loi pour reconnaître la traite et l’esclavage en tant que "crime contre l’humanité" (loi n°2001-434 du 21 mai 2001). Depuis le Sénégal est le premier Etat africain à avoir adopté une loi similaire.

Dès 1983, la France avait adopté une loi relative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage (loi n°83-550 du 30 juin 1983) qui avait permis la reconnaissance de dates régionales fériées dans les territoires d’outre-mer composant la France et ayant connu le système esclavagiste, à savoir la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, la Réunion et Mayotte.

Il importe de rappeler que la loi du 21 mai 2001, qui est l’aboutissement d’un processus de maturation législative entamé en 1998, année des cérémonies pour le cent cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage (décret du 27 avril 1840). Outre la qualification de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, qui s’accompagne de la possibilité donnée à des parties civiles de contester devant la justice des propos négationnistes en la matière (article 5), l’objectif de la loi vise non seulement la prise en compte de la mémoire de la traite négrière et de l’esclavage colonial, la conservation et la mise en valeur des sources et du patrimoine mais aussi le développement de l’histoire et de la recherche scientifique.

Les dispositions réprimant la traite et l’esclavage ont joué un rôle important dans l’affirmation de la communauté internationale depuis le début du XIXe siècle

Sur le plan international, la loi du 21 mai 2001 prévoit que la France introduise une requête auprès des instances du Conseil de l’Europe et des organisations internationales dont l’ONU pour la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.

Pour autant, il convient de rappeler le fait que la condamnation de la traite et de l’esclavage au niveau international remontent au XIXe siècle, avant de devenir l’un des socles de la communauté internationale constituée au lendemain de la Première Guerre Mondiale. L’abolitionnisme fut l’un des premier grands mouvements transnational mobilisant les sociétés civiles : en 1840 une convention antiesclavagiste mondiale se réunit à Londres.

- Dès 1815, la traite est interdite par le Congrès de Vienne. Dès 1807 le Royaume Uni et les Etats-Unis d’Amérique avaient aboli la traite négrière. En 1890, la Conférence de Bruxelles récapitule les dispositions acceptées par les grandes puissances européennes pour la répression de la traite sur mer.

- En 1919, le pacte de la Société des Nations inscrit dans ses fondements la condamnation de la traite et de l’esclavage. En 1926 est adoptée la Convention relative à l’esclavage ratifiant les principes de 1919. En 1930 l’organisation internationale du travail (OIT) adopte une convention sur le travail forcé. Enfin, après la fondation de l’ONU, et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, une nouvelle convention pour l’abolition de la traite une nouvelle convention de Genève est adoptée en 1956. Elle s’inscrit dans la référence à la qualification de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité qui est affirmé par l’article 6c du du Statut du Tribunal de Nuremberg institué le 8 août 1845 pour juger les crimes liés au génocide des juifs d’Europe.

La lutte contre la traite des êtres humains et le travail forcé demeurent une préoccupation majeure de la communauté internationale.

Le recours à la loi n’est pas une innovation du XXe siècle, mais une constante : les abolitions sont sanctionnées par des lois dans les grands Etats.

Ainsi les abolitions juridiques de la traite et de l’esclavage se succèdent dans les grands Etats occidentaux et dans les colonies, pour l’essentiel au cours du XIXe siècle, la France présentant cette singularité d’une abolition en deux temps, d’abord en 1794, sous la pression des grandes révoltes des esclaves de la principale colonie de plantation française, Saint-Domingue (actuelle Haïti) à partir de 1791, puis en 1848 après trente six ans de rétablissement de l’institution servile dans les colonies des Antilles (Guadeloupe et Martinique), de Guyane et de l’Océan Indien (Ile Bourbon, actuelle Réunion). La première loi interdisant la traite négrière fut adoptée en 1818.

Les abolitions nationales furent souvent liées à des révolutions politiques, à commencer par l’exemple de Saint-Domingue-Haïti et de la France (1794) et des Amériques (dès 1816 Simon Bolivar prend des décrets d’abolition...). Sur le continent africain des enclaves fondées avec l’aide de sociétés abolitionnistes furent constituées dès la fin du XVIIIe siècle, donnant naissance à la Sierra Leone (1808) puis au Liberia (1822).

Pour mémoire, rappelons que le processus d’abolition de l’esclavage fut long : l’esclavage est officiellement aboli au Chili en 1823, en Bolivie en 1826, au Mexique en 1829, dans les colonies britanniques en 1833, en Tunisie dès 1846, dans les possessions françaises en 1848, en Argentine en 1853, en 1863-63 aux Etats-Unis, à partir de 1870 dans les possessions espagnoles, entre 1880 et 1886 à Cuba, en 1888 au Brésil...

Après la Seconde Guerre Mondiale, la dynamique de la décolonisation et l’accélération de la mondialisation, commence le temps de la prise en compte des héritages des ségrégations liées à l’institution de l’esclavage et de la reconnaissance historique.

Au niveau international, le lancement, en 1994, par l’UNESCO, du programme de "la Route de l’Esclave" symbolise l’engagement d’un travail de mémoire et l’effort de mise en valeur du patrimoine et des sources liés à l’histoire de la traite et de l’esclavage, des révoltes serviles et des luttes pour l’abolition (http://www.portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=25659&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html) .

Rappelons que deux dates internationales sont inscrites dans le calendrier commémoratif :
- d’une part le 23 Août pour la "journée international de souvenir de la traite négrière et de son abolition" ;
- de l’autre le 2 décembre, avec la "journée internationale pour l’abolition de l’esclavage", qui inclut la lutte contre les formes contemporaines d’esclavage.

Dans le même temps, chaque nation concernée par l’histoire de la traite et de l’esclavage des Noirs, en premier lieu les anciennes puissances impériales européennes ou les Etats-Unis, mais également les anciennes possessions coloniales d’Amérique ou les Etats africains font face à la nécessité de prendre en considération ce passé douloureux et sa mémoire dans le but d’oeuvrer au renforcement de la cohésion sociale.

Aux Etats-Unis, par exemple, le recours à la loi fut nécessaire pour en finir avec la ségrégation des Noirs héritée de l’esclavage, puis pour lutter contre les discriminations (affirmative action). A présent, le travail de mémoire et d’histoire passe par des grands rendez-vous comme les Black Month History par les grands projets d’institutions muséographiques, comme le futur musée afro-américain de Washington.

Au Royaume-Uni, la forte présence de la communauté jamaïcaine et caribéenne est visible dans la vie culturelle, et notamment l’organisation de manifestations dans les grandes villes lors du Black Month History. En 2007, à l’occasion du bicentenaire de l’abolition de la Traite, de grandes manifestations ont été organisées dans tout la Grande-Bretagne et à Liverpool, le plus important port négrier européen de l’histoire de la traite, fut inaugurée le premier Musée international de l’esclavage au monde.

Aux Pays-Bas, des décisions institutionnelles concernant la mémoire et l’histoire de l’esclavage sont prises à partir de 1999 dans le cadre d’une "plate-forme nationale sur le passé esclavagiste" qui aboutissent à l’inauguration, en 2002, d’un "Monument national à l’esclavage néerlandais et à son héritage" par la Reine Béatrix et à l’ouverture en 2003 d’un "Institut national sur l’esclavage néerlandais et son héritage" à Amsterdam (http://www.ninsee.nl). La date du 17 aout est également célébrée en mémoire de la grande révolte des esclaves de Curaçao.

Au Brésil le Congrès vient d’adopter, le 16 juin 2010, le Statut d’égalité raciale visant à effacer les discriminations qui frappent notamment les noirs descendants d’esclaves tandis que des terres ont été restituées à des communautés issues du "marronnage", c’est-à-dire constituée par des esclaves en fuite.

La France, pour sa part, a élaborée une nouvelle loi en 2001 et installé par décret, à partir de 2004 - un exemple unique parmi les grandes démocraties libérales - un Comité de personnalités qualifiées chargé de faire des recommandations au gouvernement dans le domaine des commémorations, de la valorisation du patrimoine, de l’éducation, de la recherche, et de fixer la date d’une journée nationale de commémoration de la traite, de l’esclavage et de leur abolition qui distingue la France.

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