6 mai 2001 - Françoise Vergès répond à Alferd Jocksan pour France-Antilles sur le 10 mai 2011 et les dix ans de la loi

Le 6 mai 2011 France Antilles publie une interview de Françoise Vergès à la suite de la conférence de presse du 3 mai 2011. La présidente du CPMHE fait le bilan de l’action du CPME puis du CPMHE, souligne l’importance de la loi du 21 mai 2001, d’une commémoration qui rappelle le rôle des esclaves dans l’avènement d’une véritable reconnaissance des droits de l’homme et défend le projet d’un mémorial des esclavages à Paris.

INTERVIEW PUBLIEE DANS FRANCE ANTILLES LE 6 MAI 2011

Y aura-t’il un lieu, un musée ou une maison de l’esclavage et de la traite négrière en France hexagonale ?

Vous trouvez des salles consacrées à la traite et à l’esclavage au musée des Ducs de Bretagne à Nantes et au musée d’Aquitaine à Bordeaux, qui sont très bien faites, et dans certaines régions, il existe de petites expositions permanentes. Mais il n’y a toujours pas un musée de la traite négrière et de l’esclavage. Le Comité pour la mémoire de l’esclavage (le CPME est devenu en 2010 le Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, CPMHE), dans son premier rapport en 2005, demandait la création d’un Mémorial/centre de ressources/centre culturel. Cette proposition a fait l’objet d’un rapport de préfiguration par Edouard Glissant, publié sous le titre Mémoires des esclavages. Cette année, à l’occasion des dix ans de la loi Taubira, le CPMHE veut relancer cette proposition en s’appuyant sur le rapport Glissant et sur un pré-rapport de faisabilité. Notre objectif reste d’offrir au public le plus large un lieu de recueillement, de connaissance, de savoir, de débats et d’échanges, un espace citoyen.

Vous avez été nommée en 2009 présidente du CPMHE. Quelles ont été les grandes lignes de votre travail, avez vous atteint votre objectif ?

La mission confiée au CPMHE en 2009 est de 3 ans. Notre travail est bénévole et nos moyens modestes. Cependant, nous faisons tout ce que nous pouvons pour atteindre les objectifs que nous nous sommes donnés : d’une part, donner aux dix ans de la loi Taubira une dimension particulière, faire le point sur ce qui a été accompli et sur ce qui reste à accomplir. Nous avons interpellé les ministères les plus concernés - Recherche, Education nationale, Culture - et leur avons demandé de nous dire ce qu’ils avaient fait depuis dix ans pour appliquer cette loi votée à l’unanimité et qui demandait notamment que le savoir soit le plus largement diffusé et la recherche encouragée. D’autre part, il y a cette proposition dont je parlais, la création d’un Mémorial/centre de ressources/centre culturel sur les traites et les esclavages. Nous ne concevons pas ce lieu comme un musée figé mais comme un lieu vivant, où tous les publics, je dis bien tous les publics peuvent venir sans honte, sans crainte, sans peur, satisfaire leur curiosité sur ces siècles d’histoire de la France, de l’Europe et de tant de territoires. Notre urgence, pourrais-je dire, est d’encourager toutes les formes de médiation citoyenne sur cette histoire, de soutenir leur développement. Ces siècles ont profondément imprégné le monde dans lequel nous vivons. Il faut expliciter ces héritages.

Comment réagissez-vous aux attaques contre les lois mémorielles telle la loi Taubira. Comment la défendez-vous ?

Lors des récentes attaques contre la Loi Taubira, le CPMHE a diffusé un communiqué de presse protestant vigoureusement contre ces paroles indignes et scandaleuses. Elles n’expriment malheureusement pas un sentiment isolé, marginal mais une réaction partagée par des Français qui ne veulent pas que l’histoire de l’esclavagisme et de la colonisation post-esclavagiste soit intégrée dans l’histoire de France.

Pourquoi ?

Car elle interroge nombre de clichés ; elle montre que l’universalité des droits fut une abstraction et qu’il a fallu les luttes des esclaves (puis d’autres groupes exclus ou marginalisés des droits) pour que cela ne soit pas une abstraction. Comme traite et esclavage sont contemporains de la modernité - l’Europe devient moderne avec la fin des féodalismes, l’invention de l’individu, l’affirmation de droits imprescriptibles... -, il faut expliquer comment cela est possible. La difficile histoire de la citoyenneté en France (lente inclusion de groupes divers) montre que les droits dits naturels ne le sont pas tout à fait. En France, il faudra deux décrets d’abolition de l’esclavage puisque Napoléon rétablit l’esclavage en 1802. On pourrait continuer ainsi : 1848, abolition de l’esclavage mais maintien du statut colonial, par exemple. Il ne s’agit pas de transformer l’histoire en espace de récriminations mais de voir, de manière citoyenne, c’est-à-dire soucieuse du bien commun, que l’histoire enseigne aussi les conflits d’intérêts - des groupes ne veulent pas que d’autres aient accès aux mêmes droits -, les conflits sociaux et culturels comme la recherche de l’intérêt général. Mais de même, il s’agit dans les sociétés qui ont connu l’esclavage, de mettre à jour ces conflits d’intérêts, ces tensions, ces contradictions.

Avez-vous l’adhésion de tous pour cette journée de célébration du 10 mai ?

Nous l’espérons. Vous le signaliez à l’instant, la loi est régulièrement attaquée. Si nous sommes d’accord avec ses objectifs, nous devons tous la défendre. Pourquoi le choix du 10 mai ? Il fallait choisir une date qui parle à tous, ceux vivant à Mayotte, dans l’Hexagone, en Guyane, en Martinique, à La Réunion en Guadeloupe, en Afrique..., une date qui ne renvoie à aucun fait historique (pourquoi celui-là ?) ni à un seul territoire. La France doit ce jour-là se pencher sur son histoire et tous ceux qui se sentent concernés par cette histoire peuvent ce jour-là participer. L’histoire de l’esclavage est très complexe : elle se passe sur plusieurs terres, au cours de plusieurs siècles. Cela ne dure pas quatre ans et ne touche que certains espaces comme la Seconde guerre mondiale par exemple. Là, ce sont plusieurs lieux sur plusieurs continents, et ces lieux changent au cours des siècles... Le 10 mai c’est aussi le jour de l’adoption de la proposition de loi faisant de la traite négrière et de l’esclavage un crime contre l’humanité.

Quels sont les moments forts de cette journée de célébration et d’anniversaire ?

Un décret de 2006 dit que le gouvernement doit organiser ce jour-là une cérémonie officielle et le comité fait des propositions pour la cérémonie. Cette année, nous avons proposé au gouvernement un geste fort et symbolique qui inscrive dans la pierre les contributions des esclaves des colonies françaises à l’universalité des droits humains et aux idéaux de liberté, égalité, fraternité. Par là, nous voulions signaler que sans les luttes des esclaves, ces idéaux n’auraient pas la dimension qu’ils ont aujourd’hui. Les esclaves réclamaient la dignité, la liberté. Ils n’ont eu cesse de le faire. Ils nous ont légué une formidable leçon et nous devons nous en montrer dignes : quels combats sont les nôtres aujourd’hui devant des violations des droits humains ?

On dit souvent « mois de mai, mois de la mémoire ». Cette mémoire enchaînée qui déchaîne tant de passion est-elle sélective ou collective ?

C’est une mémoire qui doit devenir collective. Le monde entier est concerné par ces siècles d’histoire car nous en sommes tous les héritiers : des cultures, des musiques, des savoirs, des luttes qui font partie du patrimoine de l’humanité. Aujourd’hui, le Brésil et les autres pays d’Amérique du sud, ceux d’Amérique centrale, les Caraïbes, le continent africain (est et ouest), l’Europe, l’Amérique du nord, le sud-ouest de l’Océan Indien, ont été modelés par cette histoire. Comment l’ignorer ?

La ministre de l’Outre-mer, Mme Marie Luce Penchard, vient de vous confier une mission sur la mémoire et les lieux de mémoire. Pouvez vous nous parler de cette mission et de vos avancées ?

Cette mission concerne les expositions d’êtres humains entre 1870 et 1931 dans plusieurs villes en France, connues sous le nom de "zoos humains". Pendant ces années, dans toute l’Europe, des "sauvages" sont exhibés au regard des publics. Ce sont des Lapons, des Amérindiens, des Caribes, des Natives américains, des Africains, des Indiens... Recrutés par des privés, ils tournent en Europe dans des "villages africains", "amérindiens". Ils sont montrés comme des bêtes. Ce qui se construit à travers ces exhibitions, c’est l’idée d’une hiérarchie des races : des civilisés regardent des "sauvages". Il y a eu de nombreux abus. Le film La Vénus noire en met en scène. À Paris, il y eu des exhibitions dans des jardins, au Champ de mars... Dans la programmation de l’année des Outre-mer, des manifestations étaient prévues au Jardin d’acclimatation à Paris où eurent lieu des "zoos humains" dont l’exhibition d’Amérindiens de Guyane (en 1892, des Amérindiens exhibés meurent). Des élus et des associations de Guyane se sont émus. Mme Penchard a jugé qu’une mission répondrait au besoin d’inscrire cette histoire dans l’espace public. Le CPMHE doit faire des propositions dans ce sens : il ne s’agit pas d’interdire toute manifestation dans un lieu où eut lieu une chose indigne, mais de réfléchir à la meilleure manière de le faire connaître au grand public. Par des plaques ? des brochures ? des circuits guidés ? Des programmes éducatifs ? Nous allons réfléchir à tout cela en consultant des historiens, des artistes, des élus, des personnes concernées. La Mairie de Paris sera évidemment associée puisque ces lieux sont à Paris. Pour l’instant, nous sommes au tout début de cette mission, (confiée le 9 avril dernier), mais nous avons assuré Mme la ministre que nous ferions des propositions concrètes avant la fin 2011.

http://www.guadeloupe.franceantilles.fr/hexagone/francoise-verges-traite-et-esclavage-sont-contemporains-de-la-modernite-06-05-2011-122486.php


 

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